J’aborde la peinture avec mon imaginaire,
je me laisse submerger par ma liberté d’expression.

ÉCRITS

Matières poétiques

Quand Pascal Bouterin et Laurent Brun se rencontrent, le premier joue sur scène, son jazz. Le second est dans la salle, il écrit une chronique pour Jazz-Rhône-Alpes. Un lien se tisse, au-delà de la musique, les amène à dialoguer, à se mettre à nu, lui, le musicien et le peintre, et lui, le musicien et l’amoureux des mots. Un dialogue autour de la peinture. Sensible. Profondément jazz.

Livre

Pascal, entre peinture, poésie et jazz

La Provence - Mai 2021


Rouges braises
Note bleue
Bleus délavés dans la pénombre
Invitent à tendre l’oreille
Séparons-nous de la tonalité
Tentation du rouge
Brasero musical
Inscrit la note bleue
Dans ton sang

Laurent Brun

  • De l’origine à l’horizon, un mouvement, un désir. Comment commencer ? Comme en musique, on entre on sort. In and out. On entre par l’idée qu’on se fait. On sort pour mieux retenter sa chance. L’érotisme n’est jamais très loin. Tenter la matière, oser affronter le chaos. Toute préméditation est désarmée. Toute tentative tourne autour de l’idée, sans jamais l’atteindre. En la dépassant. Peindre, au pinceau ou au peigne. Colorer le néant. Qui n’en était pas déjà à son premier essai. L’idée de néant, la page blanche de l’écrivain, une note, un accord pour le musicien, le papier vélin ou le bois pour le peintre. Lui donner une figure acceptable. La peinture est un objet traversant. L’acte de peindre aussi. La peinture est un devenir.

    La peinture est cette ouverture, faire d’une fenêtre vide, un rêve, suffisamment vaporeux, étonnamment puissant, qui captive, qui interroge, qui accompagne. Le peintre n’est pas un coach, le peintre est un devin. Vois ce que tu ressens. Ma sensibilité pour parler à tes sens. Le peintre n’a que faire de celui qui regarde quand il crée. Il n’est qu’un vecteur. Le chemin qui va de l’origine à l’horizon est emprunté par le peintre mais aussi par celui qui regarde. L’un et l’autre ne vont pas dans la même direction. Il n’y a rien à comprendre, juste faire quelques pas et se retrouver soi, un peu plus loin, un peu plus dépouillé, un peu plus lavé. Au plus près de sa vérité qui déjà décampe. La peinture est décapante. Encore faut-il tenter le jeu du miroir. Dans cet horizon la matière est encore tactile, l’horizon est dépassable. La matière peut s’évaporer, reste le chaos. Monochrome. À réinventer. En attendant... La pensée a horreur du vide. Et pourtant cette forme d’improvisation d’une note suspendue qui en appelle mille autres, d’un aplat de couleur qui développe son histoire, cette forme d’improvisation nous renseigne-t-elle sur nous-même ? Ou devance-t-elle notre humanité ? Le peintre gratte la matière, la brûle, la transforme, la casse, la contraint, la laisse réapparaître. Pour se laisser surprendre. Fenêtre sur l’inconnu de soi. Petits creux, petits grains. Points parsemés de peinture.

    Brouillards colorés. La brûlure craquelle et réactive ce que la nature a mis des millions d’années à accoucher. Reste à faire son trou et à bien terminer. Dans un silence. Faire alors des allers retours, entre ici et là-bas, le proche et le lointain. Le peintre est un visionnaire. L’idée et l’idée de l’idée dans une confrontation.

    Le poète ne fait que tourner autour de son sujet en d’infinies courbes et reprises. Le musicien est dans le paradoxe, entre sa volubilité et se taire. Le peintre ajoute et se retire. Le musicien a tenté mille improvisations pour sceller une idée potentiellement légitime. Le peintre reprend, amoncelle, intervient. Tout est à portée et pour longtemps quand il dit j’ai terminé. Le musicien ne peut exposer son art dans sa totalité. Celui qui écoute n’entend que des bouts séparés qu’il ras- semble et recolle. Le peintre quand il peut coupler l’éphémère de la musique et le tangible exposable jouit doublement.

    Le peintre cherche son aire, tapis musical où poser ses couleurs. Il regarde au-delà de l’horizon si le temps a encore prise. Le peintre doute. La peinture est vertigineuse. Il renouvelle, idée après idée, le chaos primitif. Le big bang se retire au fur et à mesure qu’on s’en approche. Tension et détente font partie de son univers. Le musicien ne dit pas mieux. Le peintre exprime sa reconnaissance. Son corps est un médium, fait de toutes les particules de sa peinture. Il est dans sa peinture, transporté, transfiguré.

    Giorgio Vasari réussit à décrire sans jamais l’avoir vu, avec la plus grande rigueur et la plus grande finesse, les traits de Mona Lisa, appelée encore la Joconde. Supercherie ? Plutôt puissance de la peinture. Puissance de la parole. Puissance du peintre.

    Le peintre cherche son bleu. Puissant défi d’une vie inondée de bleu, zébrée de musiques. De l’origine à l’horizon. Le peintre est un être traversant. Laissons-nous traverser.

    Le peintre regarde avec étonnement le monde qui s’est construit à son insu. Il pose son regard sur ce monde en friche. Est-il de ce monde ? Est-il l’étranger ?
    Curieusement il devient le passeur d’un monde inconnu. C’est une invitation à franchir le seuil. Pas de passeport, pas de question à l’étranger, comme dirait Derrida. Une hospitalité pleine et entière sans conditions. Regarde, nous dit-il, marche dans les traces, suis le mouvement, prends le temps. Tout est temps. Tout est espace. Les deux se confondent. Le grand mouvement des parallèles est pleine immobilité. L’immobilité précède le désir. Désir et plaisir se rejoignent dans le temps et l’espace.

    Le peintre devient témoin. Le peintre questionne. Il ne peut que questionner. Il ne peut résister. Il est appelé à témoigner. Il témoigne sans s’en rendre compte, avec sa sensibilité. À force de. Mais sans forcer, juste essayer, par la technique, qui n’est pas tout, par essais successifs. Ce noir épais, couvrant, recouvrant. Ces blancs opaques, réfractaires ou totaux. Ces bruns cuivrés brûlés. Ces passages. Regards qui balayent. Peignes qui agrippent. Pointes qui balafrent.

    Que peut le peintre ?

    Tout et rien. Sauf qu’il met toujours un pas devant l’autre pour voir. Le peintre est le roi de l’accident. Une faille, un imprévu et les fenêtres nouvelles s’ouvrent, démasquant l’antériorité de son geste, son inadéquation à sa vue, le pro- pulsant vers une obsession régénérée, lavée de l’idée qu’il se faisait de lui-même et de sa peinture. Inconfort de l’inouï ou du non vu. Voit-il mieux ? Voit-il plus loin ? Son mystère change simplement de forme et de langage.

    L’obsession est-elle une épreuve, un art, ou un bienfait ?

    Le peintre est préoccupé par le réel. Il l’ausculte, il le sonde, il le questionne, il le série. Il cherche aussi à lui donner une dimension à sa mesure, lui aménage un espace. Lui-même cherche cet espace dans un dialogue fécond par où quelques vérités pourraient surgir, se métamorphoser. La peinture est un cercle, une scène. La peinture est un théâtre. La perspective a forcé le réel. Le classicisme a tenté de le sacraliser. Les impressionnistes en ont donné une illusion. Les expressionnistes l’ont caricaturé. Les cubistes l’ont fait éclater. Les modernes en ont fait un concept. Pour le peintre, reste tou- jours la couleur, la matière, le support, la technique, pour éreinter, subvertir, entraver, submerger, subjuguer, égratigner, coloniser, domestiquer, faire advenir, accoucher le réel, à la fois cible et miroir, révélateur, conscient si peu, par touches successives, couches poreuses, traits traces amas, superpositions, entrelacs, fondus transparents. Un réel enfin libéré.

    Nommons-le : tendresse et voracité, faiblesses et passions. La peinture ne prédit rien, ne veut rien dire, ne cherche pas à paraître, tout au plus à éclairer le fond.

    Le peintre fait se rejoindre les strates du temps, l’éphémère dans un geste d’urgence, l’éternel dans sa part méditative. Il bannit la métaphysique. Il réinvente un monde à notre mesure, qui déborde. La peinture est mouvement infini dans un univers fini. La peinture réinvente son cadre. Dans cet uni- vers, clôt, tous les possibles surimprimés.

    Catalogue - Matières Poétiques - Texte Laurent Brun - mai 2021

L’histoire
Laisse échapper
Sa fin
Nos regards vont plus loin

Laurent Brun

  • Une gipsy des mondes intérieurs et souterrains s'autorise de sa plume à frôler le champ d'expérience du chaman... Mais dans Chaman, d'abord il y a Man... Manifestation de l'Homme qui de lignes de fuite en poursuites transforme et transpose l'indicible, l'impalpable qui nous compose. Sa peinture, donne à voir en matière ce qui s'entend dans ses dialogues musicaux, en impro... Communiquer, n'est ce pas improviser en s'ajustant à l'autre , en se connectant à soi , entrer en résonance hors du commun, sans commune mesure, ni démesure ? Alors l'homme volcan s'est outillé des parfaites techniques pour donner matière aux énergies et vibrations qui nous gouvernent et s'emmêlent sans cesse , pour les tirer toujours vers la lumière et l'éblouissement... Emplir l'atmosphère, des chauds et froids alternés qui vivifient nos capacités contemplatives. Pascal peint, Pascal impressionne..Pointilleux déployé dans ses perceptions du moment fugace, de la fulgurance qui toujours passe..Pascal, toujours d'un cran , d'un doigt, d'un battement, d'un souffle... la dépasse et étire le temps pour en imprégner la trace. Pascal chimiste fait feu de tout bois pour faire œuvre au noir, alors observez la toile inspirez, laissez vous absorber par la tâche, lachez vos attaches ...nettoyage akashique. La brulure centrale, qui fissure, irradie la matière contient un monde, tout l' art du détail englobe un infini à déployer. Regarder le centre et vous verrez tout : Vipasana. Éloge de la puissance, manifestation d'énergie ? Sa puissance évocatrice, son énergie de vie inspirée de ce qui vient à lui et qu'il absorbe et produit en même temps. Son oeuvre oblige à la hauteur... Quand bien même et j'ose l'écrire, l'effet de surface pourrait se suffire , s'immiscer dans une déco peaufinée, exigeant finesse et palpitation esthétique tout de même : réchauffer une atmosphère clinique , intensifier la noblesse des pierres traditionnelles ; s'ériger en flamme de vie au dessus d'un parterre béton ciré, strier un boudoir d'un carré noir etc… Mais quelque soit le point de vue il y a injonction à la hauteur. Se hisser sur toutes les pointes, des pieds, du coeur, de l'esprit et percevoir, recevoir dans l'alignement le juste équilibre qui se donne à voir en structure linéaire à 1/3 laissant la part belle au firmament qui parfois vous appelle au delà. Vous pourrez voire ce que vous voulez, des chevaux galopant, une mer écumante, des cieux déclinés, des abysses apprivoisées. Pascal y aide, partenaire de l'imaginaire, maître en la matière… Il suggère d'un énoncé lapidaire, un mot unique dont vous ferez l'usage qui vous semble le plus pratique ; mais en allant chercher la grande, le grand... en vous. Quelque chose de physique se produit alors : c'est de l'indicible et de l'intouchable qui se glisse dans vos espaces , un souffle, une brise, un sirocco, des vents. Ça circule et ça respire toujours plus haut, plus fort, plus vite, dans une envolée de fragments et de lumières... arrive alors le point de butée. Le silence qui suit le final, le calme qui s'impose à l'apogée, il faut baisser les bras, courber la tête et se laisser glisser dans les abysses d'un bleu cobalt habité par l'invisible qui murmure et chuchote en infra. Ses toiles sont des espaces ouverts. Le cadre ouvre un espace infini de profondeur. Vous n'êtes plus otage du sens, mais libre de traverser le feu ,de voler dans des éclats de lumière planétaires ; les épices et les couleurs de la terre, les lumières et les appels de l'éther. Réflexion dans un oeil noir, si c'est une invitation au voyage, c'est une incitation à embrasser les mirages, s'embraser derrière les voiles et les brumes suggérées, haletant suspendu entre ciel et terre : sur le fil. Une high line ou tranches de vie, tranches de villes se détachent. Partir et revenir peindre l'absence et les réminiscences. Seul un grand rêveur peut aller , équilibriste sur la ligne de cœur, déplier la densité et s'élancer dans le silence sonder les mystères. Esthétique de la tâche et de la ligne donc... Désaccords affirmés avec la ligne droite, la ligne troublée, étoffée, crépitante, surligne des mondes enfouis et sous tend le réel, la ligne de vie ne peut être lisse. Ainsi s'esquisse un Autoportrait, qui de fragment en fragment, dessine Pascal révélant une architecture intérieure ou l'Impair manque ou passe.
    Esprit de l'exil, de l'exode, de l'exotisme, esprit flottant sur les rumeurs des villes moites, frôlant les eaux vives ou stagnantes des cités fluviales, des lagunes lacunaires, esprits des terres africaines , le sorcier longues jambes arpente les sols arides de la terre mère. En bord de fleuve, ou bord de scène, les rideaux sont des ponts suspendus entre fosse et cintres, entre terre et (é)toiles qui voilent et dévoilent l'espace du sacré. Manifestation de l'Homme... Remplir les vides, Homme ! Comment penser classer tout cet émoi en toi ? Ne surtout pas le faire... Juste tout mélanger, laisser tournoyer en échappée jazz maîtrisée. Voleur de feu côtoie les cieux au son d'une mélodie noire en note bleue.

    Marie Eve Le Brun - Septembre 2021